L’histoire des champs intenses à Grenoble

A Strasbourg, Louis Néel (né en 1904) est connu internationalement pour son modèle d’ordre antiferromagnétique (1936) découlant de son travail de thèse (de 1928 à 1932) et sa contribution à la conférence internationale de Strasbourg de 1939. Réfugié à Grenoble de 1940 à 1945 il travaille sur le magnétisme et s’entoure de physiciens explorant d’autres domaines. Fin 1945 il décide avec son équipe de s’installer à Grenoble (au lieu de retourner à Strasbourg) et il crée le laboratoire du CNRS, associé à l’université de Grenoble, le LEPM, Laboratoire d’Electrostatique et de Physique du Métal, qui va regrouper des équipements d’électrostatique (Noël Félici, Roger Morel) de basses températures (Louis Weil et Albert Lacaze), de champs magnétiques (L.Néel et René Pauthenet) et de chimie et cristallographie (Erwin Félix Bertaut) auxquels s’ajouteront la résonance magnétique nucléaire apportée par Michel Soutif. Son ambition de créer un grand laboratoire de recherche en province, se concrétise par la venue d’un laboratoire du CEA à Grenoble pour la construction de réacteurs sources de neutrons (CENG 1956) et d’autres grands équipements : service de champs magnétiques intenses, source de neutrons (ILL 1970), Synchrotron (ESRF 1992)… Louis Néel obtient le prix Nobel en 1970, et il se retire à Meudon en 1976, après le succès de ces réalisations.

Louis Néel et Louis Weil en 1954, Archives CNRS

Les effets des « champs magnétiques », notamment dans le domaine de la physique et des applications, ont justifié des efforts technologiques importants : d’abord par l’utilisation d’électro-aimants et la réduction de leur entrefer pour des champs inférieurs à 2 T – 3 T, puis par l’utilisation de bobines conductrices (en cuivre) dans lesquelles un refroidissement efficace doit éliminer les pertes par effet Joule associées à l’augmentation du courant électrique produit par une génératrice. Des champs continus de quelques tesla (René Pauthenet) et des champs pulsés atteignant 30 T (ou 10 fois plus en explosif !) sont ainsi disponibles à Grenoble dès 1960 (Maurice Guillot).

Les progrès dans le domaine des redresseurs secs (thyristors) permettent de concevoir une nouvelle installation (sans génératrice) qui est construite sous la direction de René Pauthenet par Jean-Claude Picoche et Pierre Rub dans un nouveau bâtiment. Cette installation, devenue le « Service National des Champs Magnétiques Intenses » en 1970, est conçue pour accueillir une puissance de 10MW, mais la puissance de 5MW installée initialement permet déjà d’atteindre des champs magnétiques de 15 à 20T dans un diamètre de 50 mm, sur plusieurs sites.

Dès 1972, une collaboration est engagée entre le SNCI et le Max-Plank-Institut für Festkörperforschung (MPI-FKF) de Stuttgart (avec Dransweld). La puissance est portée à 10 MW en 1974, ce qui permet d’atteindre en 1982 des champs de 25T dans un diamètre de 50 mm, avec les premières polyhélices construites par Hans Schneider-Muntau. C’est dans les champs intenses de Grenoble que Klaus von Klitzing découvre l’effet Hall quantique entier dans la nuit du 4 au 5 février 1980, qui lui vaut le prix Nobel de physique en 1985.

Un projet de bobine hybride conçu dès 1975, est réalisé et il permet d’atteindre un record mondial de champs magnétiques avec 31,36 T dans un diamètre de 50 mm en 1987. Cette première bobine hybride est constituée d’une bobine supraconductrice à l’extérieur fournissant 11T auxquels s’ajoutent 20,5 T fournis par une bobine résistive à l’intérieur. Elle est construite par une équipe franco-allemande (Jean Claude Vallier et Hans Schneider-Muntau).

En 1990-91, la puissance des installations électrique et hydraulique est doublée pour atteindre 24 MW. – Le partenariat MPG – CNRS est marqué par la création d’un laboratoire commun : le GHMFL « Grenoble High Magnetic Field Laboratory » en 1992 qui fonctionne jusqu’à fin 2004. Pour se maintenir au plus haut niveau international, le GHMFL commence la construction d’une nouvelle bobine hybride en 1997. La partie supraconductrice (de 8T) ne fonctionnant pas, sa construction est actuellement reprise sur de nouvelles bases techniques, pour atteindre 43 T.

Les progrès dans la conception des polyhélices (W. Joss et F. Debray) ont permis d’améliorer leurs performances jusqu’à un champ de 37 T disponibles dans un diamètre de 34 mm, (ou 31 T dans 50 mm) avec une puissance de 24 MW. Dans le même temps l’homogénéité et la stabilité du champ ont été considérablement améliorées par utilisation de sondes RMN (Steffen Krämer).

En 2009, la création d’un laboratoire national des champs magnétiques Intenses (LNCMI) regroupe les efforts de Toulouse dans le domaine des champs pulsés et de Grenoble pour les champs magnétiques continus, sous la direction de Geert Rikken. Depuis 2015, le LNCMI est membre du Laboratoire Européen de Champs Magnétiques (EMFL), avec les installations de champs pulsés à Dresde, et de champs DC à Nijmegen (HMFL).

Voir aussi dans «Histoire du Laboratoire»

L’histoire des champs pulsés à Toulouse